31 Juillet 2022
écrit par Robyn Chien
Dans cet article, je vous partage la lettre de motivation / note d'intention que j'ai envoyé à l'école du Fresnoy le 10 avril 2022. J'insiste toute fois sur le fait que je n'ai pas était reçu dans l'école ni même aux entretiens oraux, donc cet article est un récit de ma pratique artistique plutôt qu'un quelconque conseil pour être reçu dans cette école.
Objet : Note d'intention pour ma candidature au Studio Le Fresnoy.
Mesdames, Messieurs les jurys,
Le Fresnoy est un lieu unique qui encourage les pratiques expérimentales à la croisée du cinéma et des arts visuels. Les artistes professeurs invités ont des profils aussi riches que diversifiés, venant du champ des arts visuel, du cinéma, des sciences, ou de la philosophie. C’est ce positionnement à la croisée des pratiques et au-delà des segmentations habituelles qui me pousse à vous proposer ma candidature.
Mon projet de diplôme à la Haute École des Arts du Rhin, obtenu en 2018, commence au Mexique en 2016. J'y rencontre A*** en boîte de nuit. Je tombe très amoureuse. Elle est danseuse et me fascine dès le premier regard. L’ensemble de mon travail pour les deux années qui suivent évoluera avec elle. Je réalise une première installation vidéo en 2017 intitulée “RollingPoint” où je nous filme courant l'une autour de l'autre dans une boucle infinie. Le protocole de la vidéo fait suite à la révélation, par une sorcière du marché de Sonora, d’une vie antérieure commune que nous devons rassembler dans cette vie.
A*** est aussi webcam girl. Elle me commande un film destiné à être vendu sur une plateforme de vidéos pour adultes. Le film lui semble trop intime pour être vendu, mais c’est de cette façon que je réalise mon premier film porno: “Medusa”. Il ne devient pas un succès commercial, mais éveille chez moi un intérêt pour les pornographies. Il ouvre un champ de réflexion sur les représentations des sexualités, les définitions de la pornographie et sa distinction avec l’érotisme ou même la “culture”. C’est avec l’enseignante Lidwine Prolonge que je développe ces réflexions. Je choisis avec l’accord de A*** de faire de ce film une pièce de mon diplôme.
À trois mois du diplôme, A*** vient me rendre visite en France.
Les trois mois du visa touristique me semblent trop petits pour vivre notre amour. Je cherche comment prolonger son séjour. J’apprends que le “passeport talent” permet à l'interprète d’une œuvre de l’esprit l'obtention d'un visa de quatre ans. J'écris donc un film pour qu’elle en interprète le rôle principal. Mon travail artistique devient un outil concret qui agit sur le réel et cela m’excite énormément. Étudiant auprès d'Alain Della Negra, je me nourris du travail qu'il développe avec Koari Kinoshita autours du genre docu-fiction, pour écrire mon scénario. L'intrigue est simple : “A***, une jeune mexicaine, vient rendre visite à sa petite copine en France; elles ont trois mois pour trouver des papiers”. Les trois mois de présence de A*** en France correspondent à mon planning de tournage. Je filme quotidiennement et ajuste mon scénario à mesure que se rapproche ou s’éloigne l’happy-end. Le film s’intitule “No quiero saber nada de ti sino lo mas intimo”. Je réalise mes premières demandes de subvention avec ce film. Nous comprenons rapidement que rester en France est une question d’argent. Les entretiens oraux de ces bourses sont filmés comme des éléments de la fiction. La réalisation du film m’exalte, mais je me brûle un peu les ailes. L'enjeu du diplôme et celui de l’existence de notre amour cohabitent mal. La tentative de cheval de Troie de ce film n'aboutit pas. A*** repart au Mexique, une page se tourne.
Je cherche où atterrir. Je tombe à La Ciotat. J’ai besoin de voir la mer. J’y rencontre rapidement Merkabah, une sorcière, avec qui j’approfondis mon apprentissage de la cartomancie que je pratique depuis maintenant dix ans. La Ciotat est un haut lieu de magie. Environ tous les mois s’y tiennent les rencontres des sorcières du sud et celle du GIRE (Groupe Indépendant de Recherche Ésotérique). Merkabah m’introduit dans ces différents cercles et devient mon amie. Un soir, alors que nous marchons le long de la plage, elle m’avoue simultanément être un vampire et vouloir participer à l’un de mes films. Je m’exécute.
Nous nous mettons au travail les soirs de pleine lune. Nous invoquons un comité de rédaction composé de vampires, de réalisateurs, et d'autres entités non nommables. Ils viennent à notre table au travers de Merkabah, en transe médiumnique. Ils et elles suggèrent des scenarii, des dialogues ou des plans que je traduis en écriture cinématographique. Parfois, Merkabah les fait même me visiter, sensation on ne peut plus perturbante, mais convaincante. Cette expérience d’écriture collective avec l’au-delà et Merkabah élargit la définition de l’auteur. Celui-ci se caractérisant habituellement par une seule personne à l’origine de l’inspiration. Ouvrir et visibiliser cela, rend tangible la notion de porosité de l'esprit aux invisibles, expliqué par Vinciane Despret dans son livre “Au bonheur des morts”.
Motivée par ces expériences d’écritures collectives, je retourne à mes recherches depuis les pornographies. Je pars en résidence avec le Porn Process à l’Antre Peaux à Bourges. Il s’agit d’un collectif en non-mixité sans homme cisgenre. Nous nous retrouvons entre travailleuses de l’art, du sexe ou les deux à la fois. Je m’y rends sans bien savoir à l’avance quel sera le rôle que je vais endosser. On y parle de gentrification des pornographies, de statuts des travailleurs, de censure, d’éthique qui ne veut rien dire ou encore de qui produit les pornographies. On tourne aussi des images. Eva Vocz et Gordon B rec, tous deux travailleur·ses du sexe, me demandent de mettre à contribution mes compétences de réalisation pour leurs films. Je trouve ma place en tant que travailleuse de l’image. Cette fois-ci, le coup de foudre est professionnel. Le résultat donne des films intenses, provocateurs, et grotesques, esthétiquement très inspirés du porno mainstream. En quinze jours, nous tournons quatre films aux titres évocateurs comme vous pourrez le voir dans mon portfolio. “Il faut qu’on monte une boite de prod de cul!” Nous nous quittons en nous promettant la création de Puppy Please.
Puppy Please doit être une entreprise rentable. C’est un plan de carrière pour moi et mes deux associés. Bénévolat et travail du sexe ne fond pas bon ménage. Puppy Please est un projet sérieux, nous devons nous former au business comme n’importe quel jeune entrepreneur. Je contacte la BGE, un organisme régional d’accompagnement à la création d’entreprise. Après un éclat de rire gêné, notre conseillère accepte de nous faire passer discrètement entre les mailles du “ouvert à tous sauf…”. Il faut dire que nous portions des costards pour l’assurer de notre engagement. Étude de marché, stratégie de communication, love money, censure et compagnie, par l’expérience concrète nous constatons les nombreux obstacles malgré une prétendue liberté d’entreprendre promue par nos politiques. Difficulté amplifiée si l’entreprise en question a trait aux représentations du sexuel et qu’en plus vous n’être pas des hommes-cis. Nous documentons ce parcours lors de performances telles que “Le petit guide du porno éthique”. Au fil de cette aventure, je me passionne pour l’économie et le droit. Je surveille de près les stratégies d’entreprises françaises telles que Dorcel ou Jacquie et Michel. Par exemple, je suis surprise de constater que quelque temps après le passage de Dorcel au sénat, interrogé sur des questions de protection des mineurs, la taxation dissuasive de 33 % prélevée par le CNC disparaît dans un silence énigmatique. J’essaye aussi de comprendre pourquoi la création impliquant des représentations du sexuel est quasiment systématiquement exclue des systèmes de financement traditionnels alors que jusqu’à présent généreusement taxé. Je comprends qu’il est important de partir de situations concrètes pour marquer ses positionnements politiques. C’est dans ce contexte que je prends le nom de Robyn Chien.
À la fin de l’écriture du business plan, le constat est sans appel. Hormis un “miracle” notre entreprise ne pourra pas être rentable. Nous choisissons l’option miracle et nous continuons d’autoproduire nos films. Le dernier en date s’intitule “Une bonde baise avec sa fucking-machine devant son chien-chien”. C’est une victoire pour nous, car il est produit dans le cadre d’une résidence artistique avec le festival Latitudes Contemporaines à Lille. Nous sommes invités par le sociologue Florian Voros, auteur du livre “Désirer comme un homme - Enquête sur les fantasmes et les masculinités”.
Ce temps de travail nous permet d’affirmer notre positionnement de petit producteur de pornographie indépendante. Positionnement allant à contre-courant des pornographies se marquetant comme féministe, queer ou éthique. Si la question du féminisme est au cœur de nos interrogations quotidiennes, nous ne nous en revendiquons pas. Appuyer notre rentabilité en capitalisant sur des identités ou sur un mouvement politique aussi complexe que le féminisme ne nous convient pas.
En devenant pornographe, être artiste à refait sens pour moi. Je décide de suivre le même protocole d’apprentissage que celui de la BGE mais pour l’entreprise que je suis devenue en étant artiste-autrice. Pour cela, je suis la formation “Profession Artiste” du BBB centre d’art à Toulouse. Je souhaite comprendre les arcanes de mon statut pour les transmettre à mes pairs. Encore une fois, l’économie et les droits qui encadrent la création déterminent énormément les conditions de fabrication des œuvres et leurs existences. C’est sur le compte Instagram @robynchien_pro que je publie la restitution de cette enquête. Je prolonge cette transmission en proposant des autoformations à l'administration de l’artiste-auteur en présentiel. En mars dernier, à l’invitation des étudiant.es et pour la HEAR Strasbourg, j’ai pu présenter la conférence-performance “Ce que le porno dit des conditions de travail des artistes-auteurices” faisant état de cet aspect de mon travail.
En parallèle, je poursuis la fabrication du film avec Merkabah. Au moment de son écriture, je cherche les liens entre ésotérisme et pornographie, les deux axes principaux de mon travail. Encore une fois, ce sont les cartes qui me guident. Je dois rassembler ces deux axes dans un même film. Je ramène alors Eva Vocz, mon associée chez Puppy Please, dans le film de Merkabah qui s’intitulera “Eva et le Merkabah”. Au scénario, ça donne : “Eva est téléportée dans le monde parallèle magique de Merkabah. Arriveront-elles à s'entendre pour ramener Eva dans son monde.” Les deux actrices jouent leur propre rôle dans un monde fictionnel. Ce n’est pas tant l’authenticité de mes actrices que j’ai envie de filmer que leur qualité d'improvisatrices plongées dans cette aventure loufoque. Ce duo contrasté et cette méthodologie de travail donne un effet comique et absurde aux conflits qui les opposent. Je souhaite continuer d’explorer cette manière de travailler autour des oppositions, au Fresnoy, pendant le projet de première année. Je choisis pour “Eva et le Merkabah” de travailler avec des temps de tournage définis et une équipe. Ces temps collectifs m’apportent beaucoup de satisfaction. Rentrer au Fresnoy sera l’occasion d’approfondir cette démarche grâce au savoir-faire, et à l’accompagnement technique et matériel unique mis à disposition des étudiant·es.
Le film “Eva et le Merkabah” est autoproduit. Dans l'attente de pouvoir travailler avec les moyens techniques multiples (argentiques, numériques, nouvelles technologies) du Fresnoy, j’initie avec l’artiste Anouk Moyaux le club Cinématrices. C’est un sentiment de solitude en tant que réalisatrices sur les tournages qui déclenche l’envie de proposer des moments de rencontre avec nos pairs. Nous y abordons des questions comme la direction d’acteurice, les rémunérations, ou encore l’écriture des dossiers. Le club se tient mensuellement et les discussions partent toujours d’objets concrets comme des rushs, un montage en cours, des premières recherches, etc. Chaque réunion est l’occasion de mise en réseau et d’entraide. C’est en constatant les parcours de mes collègues du club que l’envie de continuer à travailler dans cette logique d’entraide dans un cadre d’apprentissage que j’affirme mon envie d’étudier au Fresnoy.
Pour conclure, le cursus proposé par le Fresnoy m’attire particulièrement pour les trois raisons principales suivantes. Je souhaite apprendre à travailler avec une équipe pour mener à bien des projets de film, d’installation et de performances à une échelle plus conséquente. Grâce au fonctionnement en espace de production, je souhaite pratiquer l'écriture cinématographie et réaliser des dossiers de film. Enfin, ce temps sera propice à la recherche avec les nouvelles technologies de la création, dans un cadre en accord avec mes valeurs, et avec transdisciplinarité. Si comme moi vous partagez l’envie que vos méthodologies plurielles d’apprentissages rencontrent mon travail, je me tiens à votre disposition pour une rencontre.
Merci de votre lecture.
Robyn Chien
31 Juillet 2022
écrit par Robyn Chien
Dans cet article, je vous partage la lettre de motivation / note d'intention que j'ai envoyé à l'école du Fresnoy le 10 avril 2022. J'insiste toute fois sur le fait que je n'ai pas était reçu dans l'école ni même aux entretiens oraux, donc cet article est un récit de ma pratique artistique plutôt qu'un quelconque conseil pour être reçu dans cette école.
Objet : Note d'intention pour ma candidature au Studio Le Fresnoy.
Mesdames, Messieurs les jurys,
Le Fresnoy est un lieu unique qui encourage les pratiques expérimentales à la croisée du cinéma et des arts visuels. Les artistes professeurs invités ont des profils aussi riches que diversifiés, venant du champ des arts visuel, du cinéma, des sciences, ou de la philosophie. C’est ce positionnement à la croisée des pratiques et au-delà des segmentations habituelles qui me pousse à vous proposer ma candidature.
Mon projet de diplôme à la Haute École des Arts du Rhin, obtenu en 2018, commence au Mexique en 2016. J'y rencontre A*** en boîte de nuit. Je tombe très amoureuse. Elle est danseuse et me fascine dès le premier regard. L’ensemble de mon travail pour les deux années qui suivent évoluera avec elle. Je réalise une première installation vidéo en 2017 intitulée “RollingPoint” où je nous filme courant l'une autour de l'autre dans une boucle infinie. Le protocole de la vidéo fait suite à la révélation, par une sorcière du marché de Sonora, d’une vie antérieure commune que nous devons rassembler dans cette vie.
A*** est aussi webcam girl. Elle me commande un film destiné à être vendu sur une plateforme de vidéos pour adultes. Le film lui semble trop intime pour être vendu, mais c’est de cette façon que je réalise mon premier film porno: “Medusa”. Il ne devient pas un succès commercial, mais éveille chez moi un intérêt pour les pornographies. Il ouvre un champ de réflexion sur les représentations des sexualités, les définitions de la pornographie et sa distinction avec l’érotisme ou même la “culture”. C’est avec l’enseignante Lidwine Prolonge que je développe ces réflexions. Je choisis avec l’accord de A*** de faire de ce film une pièce de mon diplôme.
À trois mois du diplôme, A*** vient me rendre visite en France.
Les trois mois du visa touristique me semblent trop petits pour vivre notre amour. Je cherche comment prolonger son séjour. J’apprends que le “passeport talent” permet à l'interprète d’une œuvre de l’esprit l'obtention d'un visa de quatre ans. J'écris donc un film pour qu’elle en interprète le rôle principal. Mon travail artistique devient un outil concret qui agit sur le réel et cela m’excite énormément. Étudiant auprès d'Alain Della Negra, je me nourris du travail qu'il développe avec Koari Kinoshita autours du genre docu-fiction, pour écrire mon scénario. L'intrigue est simple : “A***, une jeune mexicaine, vient rendre visite à sa petite copine en France; elles ont trois mois pour trouver des papiers”. Les trois mois de présence de A*** en France correspondent à mon planning de tournage. Je filme quotidiennement et ajuste mon scénario à mesure que se rapproche ou s’éloigne l’happy-end. Le film s’intitule “No quiero saber nada de ti sino lo mas intimo”. Je réalise mes premières demandes de subvention avec ce film. Nous comprenons rapidement que rester en France est une question d’argent. Les entretiens oraux de ces bourses sont filmés comme des éléments de la fiction. La réalisation du film m’exalte, mais je me brûle un peu les ailes. L'enjeu du diplôme et celui de l’existence de notre amour cohabitent mal. La tentative de cheval de Troie de ce film n'aboutit pas. A*** repart au Mexique, une page se tourne.
Je cherche où atterrir. Je tombe à La Ciotat. J’ai besoin de voir la mer. J’y rencontre rapidement Merkabah, une sorcière, avec qui j’approfondis mon apprentissage de la cartomancie que je pratique depuis maintenant dix ans. La Ciotat est un haut lieu de magie. Environ tous les mois s’y tiennent les rencontres des sorcières du sud et celle du GIRE (Groupe Indépendant de Recherche Ésotérique). Merkabah m’introduit dans ces différents cercles et devient mon amie. Un soir, alors que nous marchons le long de la plage, elle m’avoue simultanément être un vampire et vouloir participer à l’un de mes films. Je m’exécute.
Nous nous mettons au travail les soirs de pleine lune. Nous invoquons un comité de rédaction composé de vampires, de réalisateurs, et d'autres entités non nommables. Ils viennent à notre table au travers de Merkabah, en transe médiumnique. Ils et elles suggèrent des scenarii, des dialogues ou des plans que je traduis en écriture cinématographique. Parfois, Merkabah les fait même me visiter, sensation on ne peut plus perturbante, mais convaincante. Cette expérience d’écriture collective avec l’au-delà et Merkabah élargit la définition de l’auteur. Celui-ci se caractérisant habituellement par une seule personne à l’origine de l’inspiration. Ouvrir et visibiliser cela, rend tangible la notion de porosité de l'esprit aux invisibles, expliqué par Vinciane Despret dans son livre “Au bonheur des morts”.
Motivée par ces expériences d’écritures collectives, je retourne à mes recherches depuis les pornographies. Je pars en résidence avec le Porn Process à l’Antre Peaux à Bourges. Il s’agit d’un collectif en non-mixité sans homme cisgenre. Nous nous retrouvons entre travailleuses de l’art, du sexe ou les deux à la fois. Je m’y rends sans bien savoir à l’avance quel sera le rôle que je vais endosser. On y parle de gentrification des pornographies, de statuts des travailleurs, de censure, d’éthique qui ne veut rien dire ou encore de qui produit les pornographies. On tourne aussi des images. Eva Vocz et Gordon B rec, tous deux travailleur·ses du sexe, me demandent de mettre à contribution mes compétences de réalisation pour leurs films. Je trouve ma place en tant que travailleuse de l’image. Cette fois-ci, le coup de foudre est professionnel. Le résultat donne des films intenses, provocateurs, et grotesques, esthétiquement très inspirés du porno mainstream. En quinze jours, nous tournons quatre films aux titres évocateurs comme vous pourrez le voir dans mon portfolio. “Il faut qu’on monte une boite de prod de cul!” Nous nous quittons en nous promettant la création de Puppy Please.
Puppy Please doit être une entreprise rentable. C’est un plan de carrière pour moi et mes deux associés. Bénévolat et travail du sexe ne fond pas bon ménage. Puppy Please est un projet sérieux, nous devons nous former au business comme n’importe quel jeune entrepreneur. Je contacte la BGE, un organisme régional d’accompagnement à la création d’entreprise. Après un éclat de rire gêné, notre conseillère accepte de nous faire passer discrètement entre les mailles du “ouvert à tous sauf…”. Il faut dire que nous portions des costards pour l’assurer de notre engagement. Étude de marché, stratégie de communication, love money, censure et compagnie, par l’expérience concrète nous constatons les nombreux obstacles malgré une prétendue liberté d’entreprendre promue par nos politiques. Difficulté amplifiée si l’entreprise en question a trait aux représentations du sexuel et qu’en plus vous n’être pas des hommes-cis. Nous documentons ce parcours lors de performances telles que “Le petit guide du porno éthique”. Au fil de cette aventure, je me passionne pour l’économie et le droit. Je surveille de près les stratégies d’entreprises françaises telles que Dorcel ou Jacquie et Michel. Par exemple, je suis surprise de constater que quelque temps après le passage de Dorcel au sénat, interrogé sur des questions de protection des mineurs, la taxation dissuasive de 33 % prélevée par le CNC disparaît dans un silence énigmatique. J’essaye aussi de comprendre pourquoi la création impliquant des représentations du sexuel est quasiment systématiquement exclue des systèmes de financement traditionnels alors que jusqu’à présent généreusement taxé. Je comprends qu’il est important de partir de situations concrètes pour marquer ses positionnements politiques. C’est dans ce contexte que je prends le nom de Robyn Chien.
À la fin de l’écriture du business plan, le constat est sans appel. Hormis un “miracle” notre entreprise ne pourra pas être rentable. Nous choisissons l’option miracle et nous continuons d’autoproduire nos films. Le dernier en date s’intitule “Une bonde baise avec sa fucking-machine devant son chien-chien”. C’est une victoire pour nous, car il est produit dans le cadre d’une résidence artistique avec le festival Latitudes Contemporaines à Lille. Nous sommes invités par le sociologue Florian Voros, auteur du livre “Désirer comme un homme - Enquête sur les fantasmes et les masculinités”.
Ce temps de travail nous permet d’affirmer notre positionnement de petit producteur de pornographie indépendante. Positionnement allant à contre-courant des pornographies se marquetant comme féministe, queer ou éthique. Si la question du féminisme est au cœur de nos interrogations quotidiennes, nous ne nous en revendiquons pas. Appuyer notre rentabilité en capitalisant sur des identités ou sur un mouvement politique aussi complexe que le féminisme ne nous convient pas.
En devenant pornographe, être artiste à refait sens pour moi. Je décide de suivre le même protocole d’apprentissage que celui de la BGE mais pour l’entreprise que je suis devenue en étant artiste-autrice. Pour cela, je suis la formation “Profession Artiste” du BBB centre d’art à Toulouse. Je souhaite comprendre les arcanes de mon statut pour les transmettre à mes pairs. Encore une fois, l’économie et les droits qui encadrent la création déterminent énormément les conditions de fabrication des œuvres et leurs existences. C’est sur le compte Instagram @robynchien_pro que je publie la restitution de cette enquête. Je prolonge cette transmission en proposant des autoformations à l'administration de l’artiste-auteur en présentiel. En mars dernier, à l’invitation des étudiant.es et pour la HEAR Strasbourg, j’ai pu présenter la conférence-performance “Ce que le porno dit des conditions de travail des artistes-auteurices” faisant état de cet aspect de mon travail.
En parallèle, je poursuis la fabrication du film avec Merkabah. Au moment de son écriture, je cherche les liens entre ésotérisme et pornographie, les deux axes principaux de mon travail. Encore une fois, ce sont les cartes qui me guident. Je dois rassembler ces deux axes dans un même film. Je ramène alors Eva Vocz, mon associée chez Puppy Please, dans le film de Merkabah qui s’intitulera “Eva et le Merkabah”. Au scénario, ça donne : “Eva est téléportée dans le monde parallèle magique de Merkabah. Arriveront-elles à s'entendre pour ramener Eva dans son monde.” Les deux actrices jouent leur propre rôle dans un monde fictionnel. Ce n’est pas tant l’authenticité de mes actrices que j’ai envie de filmer que leur qualité d'improvisatrices plongées dans cette aventure loufoque. Ce duo contrasté et cette méthodologie de travail donne un effet comique et absurde aux conflits qui les opposent. Je souhaite continuer d’explorer cette manière de travailler autour des oppositions, au Fresnoy, pendant le projet de première année. Je choisis pour “Eva et le Merkabah” de travailler avec des temps de tournage définis et une équipe. Ces temps collectifs m’apportent beaucoup de satisfaction. Rentrer au Fresnoy sera l’occasion d’approfondir cette démarche grâce au savoir-faire, et à l’accompagnement technique et matériel unique mis à disposition des étudiant·es.
Le film “Eva et le Merkabah” est autoproduit. Dans l'attente de pouvoir travailler avec les moyens techniques multiples (argentiques, numériques, nouvelles technologies) du Fresnoy, j’initie avec l’artiste Anouk Moyaux le club Cinématrices. C’est un sentiment de solitude en tant que réalisatrices sur les tournages qui déclenche l’envie de proposer des moments de rencontre avec nos pairs. Nous y abordons des questions comme la direction d’acteurice, les rémunérations, ou encore l’écriture des dossiers. Le club se tient mensuellement et les discussions partent toujours d’objets concrets comme des rushs, un montage en cours, des premières recherches, etc. Chaque réunion est l’occasion de mise en réseau et d’entraide. C’est en constatant les parcours de mes collègues du club que l’envie de continuer à travailler dans cette logique d’entraide dans un cadre d’apprentissage que j’affirme mon envie d’étudier au Fresnoy.
Pour conclure, le cursus proposé par le Fresnoy m’attire particulièrement pour les trois raisons principales suivantes. Je souhaite apprendre à travailler avec une équipe pour mener à bien des projets de film, d’installation et de performances à une échelle plus conséquente. Grâce au fonctionnement en espace de production, je souhaite pratiquer l'écriture cinématographie et réaliser des dossiers de film. Enfin, ce temps sera propice à la recherche avec les nouvelles technologies de la création, dans un cadre en accord avec mes valeurs, et avec transdisciplinarité. Si comme moi vous partagez l’envie que vos méthodologies plurielles d’apprentissages rencontrent mon travail, je me tiens à votre disposition pour une rencontre.
Merci de votre lecture.
Robyn Chien