18 décembre 2021
écrit par Robyn Chien
Deux, trois choses que j’ai appris depuis la sortie de l’école.
Pour cet article, je propose un petit regard en arrière sur ma méthodologie de travail des trois dernières années.
Le contexte
Lors de ma dernière année d’étude, j’étais en relation amoureuse avec une personne mexicaine rencontrée lors de mon échange en quatrième année. Elle m’a rendu visite, en France, durant les trois mois qui allaient précéder mon diplôme. Lorsqu'elle m’a annoncé sa venue, ma deuxième réaction, après la joie, a était de vouloir convertir ces trois mois de visa touristique en du plus long terme.
Je me suis renseigné sur les possibilités pour prolonger son séjour. J'ai appris l’existence du passeport talent. C'est-à-dire, un visa octroyé aux interprètes d’œuvre de l’esprit*. C’est à partir de là qu’a germé l’idée de l’écriture d’un film. Ce film me permettait de créer un rôle à interpréter.
J’ai donc pensé mon diplôme comme consacrant mon film comme une véritable œuvre de l’esprit et dans le même temps, consacrant notre relation, car lui permettant de durer plus longtemps. Je le pensais presque comme une fête de mariage. Avec le recul, le romantisme de la situation que je construisais me saute aux yeux. Sur le moment, je ne pensais pas qu’une histoire lesbienne pouvait aussi tomber dans les écueils du romantisme.
En parallèle de mes recherches, j’avais aussi compris que l’argent pouvait aussi facilité cette prolongation de séjour. Une certaine somme était demandé pour l’obtention de ce passeport talent.
De plus, le film me permettait de passer le temps que je devais consacrer à mon diplôme avec ma partenaire. Je souhaitais que le film et notre vie commune soient une seule et même chose. Le scénario du film était "Une Mexicaine vient rendre visite à sa petite copine en France. Elles ont trois mois pour trouver des papiers."
L’idée d’un film qui pourrait littéralement servir à quelque chose me séduisait beaucoup.
Finalement, j’ai eu mon diplôme. Nous nous sommes séparées. Elle est repartie de France au bout des trois mois. Aujourd’hui, elle ne souhaite pas que je diffuse le film de cette expérience. C’est une décision que je respecte et comprend. J’ai aussi eu du mal à l'accepter, allant parfois jusqu’à trouvé cette décision injuste. Ces pensées m’ont fait réfléchir à l’importance que j’accorde à ma pratique artistique et a la place de la reconnaissance dans le milieu artistique.
Ce que je retiens de cette expérience:
De cette expérience, j'ai retenu un certain nombre de règles dans ma pratique artistique. En voici une sélection:
- Il y a plein de chose plus importante que l’art. Et encore plus de chose plus importante que la reconnaissance de mon art. Mon rapport à mon travail doit tenir compte de ce constat.
- L’art n’est pas un prétexte plus valable qu’un autre pour venir en aide à une personne sans son consentement. L’idée de venir en aide individuellement est globalement quelque chose que je questionne beaucoup; dans ma pratique artistique, dans les services de cartomancie que j’exécute et dans la vie en général.
- L'artiste est un travailleur de l’art. Le droit du travail à sa place dans l’art. Les gens avec qui l’on travaille ont droit à des cadres de travail défini: horaire, rémunération, contrat, etc. Et c’est aussi valable pour soi-même. L’idée de contractualiser les relations peut être repoussante au premier abord. J’ai l’impression, qu’au contraire, le contrat est un outil qui lève des flous désagréables*. J’entends par contrat tout échange visant à clarifier la nature d’une relation professionnelle. Cela peut être une franche discussion, un mail ou un papier signer. En gros, je me force à être transparente sur mes attentes surtout si elles sont de faire un “projet”.
- Un projet ne doit pas reposer sur les épaules d’une seule et même personne. La fascination ne peut pas être le seul moteur de création. Si on le couple au flou sur le contexte de travail, cela revient à enfermer une personne dans ce l’on projette d’elle. C’est une forme d’objectivisation. Tant que cela est délimité par le rôle que l’on confit à la personne, cela ne pose pas de problème en sois. Si cela devient la principale manière d’interagir cela peux biaiser une relation. Au quotidien, j’essaye d’être vigilante à ne rien mettre au centre de ma vie. Que ce soit un projet, une personne, une relation, etc. C’est un peu l’idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
- Les relations d’amour doivent se vivre en dehors de la caméra. En racontant mon projet de diplôme à une artiste plus expérimenté que moi, sa réaction immédiate a était: “Première règle: on ne couche pas avec ses acteurices!”. Je ne me rends pas compte si cette règle est une évidence pour tout le monde. Je n’en suis pas sure, étant donné que Me Too a pris de l’ampleur avec les dénonciations du milieu du cinéma. Apparemment, cette règle n’était pas évidente pour moi non plus.
Dans la relation regardeur/regardé ou écoutant/écouté, il y a beaucoup de liens qui se tissent. Dans le film La jeune fille en feu*, la scène où la peintre rejoint le point de vue de la modèle est assez parlante à ce propos. J’essaye d’être attentive au rapport de pouvoir qui s’instaure entre les actrices et moi, et de ne plus utiliser les vulnérabilités qui en découlent.
La mise en pratique
Pour écrire cet article, je vais fouiller dans mes notes du début du projet “Robyn Chien”. Cela regroupe le film “Eva et le Merkabah” et toutes les activités relatives à Puppy Please. J'ai un document de travail intitulé “méthodologie de réalisation” où je liste les règles suivantes:
-faire attention au rapport de pourvoir avec les acteurices
-déconstruire la position du réalisateur (utilisation des cartes, de la médiumnité, ect)
-être explicite sur mon envie de faire un film. Malgré la déconstruire de la position du réalisateur, il y aura des moments où j’imposerai mes choix, dans la limite du consentement.
-prendre en compte les envie des acteurices
-ne pas prendre qu’une seule acteurice
-séparer la vie quotidienne et le tournage = avoir des temps de tournage délimité
-économie de moyen au niveau technique et non au niveau humain. (On n'est pas anticapitaliste en faisant travailler les gens gratuitement)
-travailler sur un sujet plutôt que sur une personne
-ne pas capitaliser sur des identités
-chercher autre chose que de l’authenticité, revendiquer la fiction
-travailler lentement et local
-rythme horaire raisonnable, donc accepter que quelque chose ne soit pas terminé pour être diffusé.
-les objectifs implicites doivent être explicité
Voilà un petit texte sur ma méthodologie de travail. Ces règles évoluent constamment pour moi-même. Justement je pense que j’arrive à les partager aujourd’hui car je ne suis pas sûre que cette rigueur soit toujours bénéfique. Ces mêmes règles se retournent parfois contre moi. Elle n’assure aucune réussite à rien, mais elles m’ont donné une route à suivre.
Aujourd'hui, je vois des limites à ces règles. Elle me donne l’illusion d’être une solution à des problématiques qui ne peuvent pas se résoudre individuellement. Par exemple sur la question du droit du travail, c’est peut-être plus utile de s’impliquer dans un syndicat que d’avoir une “éthique personnelle”.
Affaire à suivre.
*Une œuvre de l'esprit est nécessairement une création issue de l'esprit humain, pour peu que cette création soit sortie de l'esprit en question, objectivée, et qu'elle soit devenue "sensible" c'est-à-dire perceptible par tous
*Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019
https://www.youtube.com/watch?v=Y5S4PyBR364&list=WL&index=8&t=9s
*
image 1: vidéogramme de repérage pour le film Eva et Merkabah
image 2: vidéogramme du film No Quiero saber nada de ti sino lo màs intimo
image 3: carte mentale, archives personnelles
18 décembre 2021
écrit par Robyn Chien
Deux, trois choses que j’ai appris depuis la sortie de l’école.
Pour cet article, je propose un petit regard en arrière sur ma méthodologie de travail des trois dernières années.
Le contexte
Lors de ma dernière année d’étude, j’étais en relation amoureuse avec une personne mexicaine rencontrée lors de mon échange en quatrième année. Elle m’a rendu visite, en France, durant les trois mois qui allaient précéder mon diplôme. Lorsqu'elle m’a annoncé sa venue, ma deuxième réaction, après la joie, a était de vouloir convertir ces trois mois de visa touristique en du plus long terme.
Je me suis renseigné sur les possibilités pour prolonger son séjour. J'ai appris l’existence du passeport talent. C'est-à-dire, un visa octroyé aux interprètes d’œuvre de l’esprit*. C’est à partir de là qu’a germé l’idée de l’écriture d’un film. Ce film me permettait de créer un rôle à interpréter.
J’ai donc pensé mon diplôme comme consacrant mon film comme une véritable œuvre de l’esprit et dans le même temps, consacrant notre relation, car lui permettant de durer plus longtemps. Je le pensais presque comme une fête de mariage. Avec le recul, le romantisme de la situation que je construisais me saute aux yeux. Sur le moment, je ne pensais pas qu’une histoire lesbienne pouvait aussi tomber dans les écueils du romantisme.
En parallèle de mes recherches, j’avais aussi compris que l’argent pouvait aussi facilité cette prolongation de séjour. Une certaine somme était demandé pour l’obtention de ce passeport talent.
De plus, le film me permettait de passer le temps que je devais consacrer à mon diplôme avec ma partenaire. Je souhaitais que le film et notre vie commune soient une seule et même chose. Le scénario du film était "Une Mexicaine vient rendre visite à sa petite copine en France. Elles ont trois mois pour trouver des papiers."
L’idée d’un film qui pourrait littéralement servir à quelque chose me séduisait beaucoup.
Finalement, j’ai eu mon diplôme. Nous nous sommes séparées. Elle est repartie de France au bout des trois mois. Aujourd’hui, elle ne souhaite pas que je diffuse le film de cette expérience. C’est une décision que je respecte et comprend. J’ai aussi eu du mal à l'accepter, allant parfois jusqu’à trouvé cette décision injuste. Ces pensées m’ont fait réfléchir à l’importance que j’accorde à ma pratique artistique et a la place de la reconnaissance dans le milieu artistique.
Ce que je retiens de cette expérience:
De cette expérience, j'ai retenu un certain nombre de règles dans ma pratique artistique. En voici une sélection:
- Il y a plein de chose plus importante que l’art. Et encore plus de chose plus importante que la reconnaissance de mon art. Mon rapport à mon travail doit tenir compte de ce constat.
- L’art n’est pas un prétexte plus valable qu’un autre pour venir en aide à une personne sans son consentement. L’idée de venir en aide individuellement est globalement quelque chose que je questionne beaucoup; dans ma pratique artistique, dans les services de cartomancie que j’exécute et dans la vie en général.
- L'artiste est un travailleur de l’art. Le droit du travail à sa place dans l’art. Les gens avec qui l’on travaille ont droit à des cadres de travail défini: horaire, rémunération, contrat, etc. Et c’est aussi valable pour soi-même. L’idée de contractualiser les relations peut être repoussante au premier abord. J’ai l’impression, qu’au contraire, le contrat est un outil qui lève des flous désagréables*. J’entends par contrat tout échange visant à clarifier la nature d’une relation professionnelle. Cela peut être une franche discussion, un mail ou un papier signer. En gros, je me force à être transparente sur mes attentes surtout si elles sont de faire un “projet”.
- Un projet ne doit pas reposer sur les épaules d’une seule et même personne. La fascination ne peut pas être le seul moteur de création. Si on le couple au flou sur le contexte de travail, cela revient à enfermer une personne dans ce l’on projette d’elle. C’est une forme d’objectivisation. Tant que cela est délimité par le rôle que l’on confit à la personne, cela ne pose pas de problème en sois. Si cela devient la principale manière d’interagir cela peux biaiser une relation. Au quotidien, j’essaye d’être vigilante à ne rien mettre au centre de ma vie. Que ce soit un projet, une personne, une relation, etc. C’est un peu l’idée de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
- Les relations d’amour doivent se vivre en dehors de la caméra. En racontant mon projet de diplôme à une artiste plus expérimenté que moi, sa réaction immédiate a était: “Première règle: on ne couche pas avec ses acteurices!”. Je ne me rends pas compte si cette règle est une évidence pour tout le monde. Je n’en suis pas sure, étant donné que Me Too a pris de l’ampleur avec les dénonciations du milieu du cinéma. Apparemment, cette règle n’était pas évidente pour moi non plus.
Dans la relation regardeur/regardé ou écoutant/écouté, il y a beaucoup de liens qui se tissent. Dans le film La jeune fille en feu*, la scène où la peintre rejoint le point de vue de la modèle est assez parlante à ce propos. J’essaye d’être attentive au rapport de pouvoir qui s’instaure entre les actrices et moi, et de ne plus utiliser les vulnérabilités qui en découlent.
La mise en pratique
Pour écrire cet article, je vais fouiller dans mes notes du début du projet “Robyn Chien”. Cela regroupe le film “Eva et le Merkabah” et toutes les activités relatives à Puppy Please. J'ai un document de travail intitulé “méthodologie de réalisation” où je liste les règles suivantes:
-faire attention au rapport de pourvoir avec les acteurices
-déconstruire la position du réalisateur (utilisation des cartes, de la médiumnité, ect)
-être explicite sur mon envie de faire un film. Malgré la déconstruire de la position du réalisateur, il y aura des moments où j’imposerai mes choix, dans la limite du consentement.
-prendre en compte les envie des acteurices
-ne pas prendre qu’une seule acteurice
-séparer la vie quotidienne et le tournage = avoir des temps de tournage délimité
-économie de moyen au niveau technique et non au niveau humain. (On n'est pas anticapitaliste en faisant travailler les gens gratuitement)
-travailler sur un sujet plutôt que sur une personne
-ne pas capitaliser sur des identités
-chercher autre chose que de l’authenticité, revendiquer la fiction
-travailler lentement et local
-rythme horaire raisonnable, donc accepter que quelque chose ne soit pas terminé pour être diffusé.
-les objectifs implicites doivent être explicité
Voilà un petit texte sur ma méthodologie de travail. Ces règles évoluent constamment pour moi-même. Justement je pense que j’arrive à les partager aujourd’hui car je ne suis pas sûre que cette rigueur soit toujours bénéfique. Ces mêmes règles se retournent parfois contre moi. Elle n’assure aucune réussite à rien, mais elles m’ont donné une route à suivre.
Aujourd'hui, je vois des limites à ces règles. Elle me donne l’illusion d’être une solution à des problématiques qui ne peuvent pas se résoudre individuellement. Par exemple sur la question du droit du travail, c’est peut-être plus utile de s’impliquer dans un syndicat que d’avoir une “éthique personnelle”.
Affaire à suivre.
*Une œuvre de l'esprit est nécessairement une création issue de l'esprit humain, pour peu que cette création soit sortie de l'esprit en question, objectivée, et qu'elle soit devenue "sensible" c'est-à-dire perceptible par tous
*Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019
https://www.youtube.com/watch?v=Y5S4PyBR364&list=WL&index=8&t=9s
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image 1: vidéogramme de repérage pour le film Eva et Merkabah
image 2: vidéogramme du film No Quiero saber nada de ti sino lo màs intimo
image 3: carte mentale, archives personnelles